1 - Les fleurs de Chichibu.
Paris, le 26 juin 2035.
Mes parents rêvaient d'avoir un enfant médecin et un autre avocat. Ils ont fait de fortes pressions sur moi pour que j’entame des études de droit. Hélas, je viens de rater mon bac et de toute façon, je n'ai pas du tout envie de faire du droit.
Je m'appelle Cécile, je suis une blonde aux yeux bleus et je suis séduisante, je plais aux garçons. Mes parents sont riches et très, très conventionnels. Quand je leur ai dit que je voulais partir en vacances à Los Angeles, au lieu d'étudier pour la 2e session, ils n'ont pas aimé du tout. Leur moyen de pression habituel, c'est me couper les vivres, c'est-à-dire arrêter de me donner de l'argent tous les mois.
Ils m'ont déjà fait ce genre de chantage, mais cette fois-ci, ils avaient l'air décidés. Mon père m'a dit :
— Tu ne veux plus étudier ? Très bien, trouve du travail.
Ma mère a ajouté :
— Fais-toi engager comme serveuse dans un fast food.
À partir de là, ça a un peu dégénéré... même beaucoup. Pour finir, j'ai fait ma valise et j'ai quitté la maison.
Étant jeune, jolie, intelligente et... sûre de moi, trouver du boulot sera facile. Ou pas, car pour trouver un travail intéressant, il faut avoir des diplômes et moi, je n'ai même pas le bac. Une amie m'a hébergée mais seulement pour une semaine. Pas plus longtemps, car elle attendait de la famille. Je suis allée dans les boîtes d'intérim, mais tout ce qu'on me proposait, c'était des places de serveuses – comme avait dit ma mère – ou pire, genre bonne à tout faire. J'imaginais la tête de mes parents.
Aujourd'hui, je me trouve dans une nouvelle boîte d'intérim. Je dis à la fille qui me reçoit :
— Je parle anglais et je suis prête à voyager n'importe où dans le monde.
Elle regarde son PC et elle me dit :
— Justement, j'ai eu une demande d'une riche famille japonaise. Ils cherchent une jolie Française pour que leurs enfants se perfectionnent en français. Et c'est bien payé.
— Juste pour leur apprendre le français ?
— Oui, enfin, une baby-sitter capable de bien leur apprendre le français.
Baby-sitter ! J'imagine la tête de mes parents, si je leur dis ça. Parce qu'une baby-sitter, c'est un peu comme une bonne, non ? La fille lit dans mes pensées, car elle ajoute :
— Ils ont plusieurs servantes. Sans le bac, que voulez-vous trouver ?
Visiter le Japon et être bien payée... et puis la tête de mes parents. Je réponds :
— J'accepte.
— Vous êtes sûre ?
— Oui.
— Bien, je vais envoyer les renseignements que vous m'avez donnés, ainsi que des photos, car ils veulent que leur baby-sitter soit jolie.
Normal, quand on est riches, on veut s'entourer d'un personnel séduisant. C'est comme ça chez nous aussi. Je lui demande :
— Vous me téléphonerez ?
— Oui, vous aurez des nouvelles très vite.
— Il y a beaucoup d'autres candidates ?
— Aussi mignonne que vous, non.
C'est gentil. Je lui dis :
— C'est pour être baby-sitter, rien de plus ?
— De toute façon, vous aurez vos billets aller-retour, vous les quittez quand vous voulez.
Ça me décide. Elle ajoute :
— Toujours prête à partir dans cinq jours ?
— Oui, bien décidée.
Le lendemain après-midi, je reçois un mail de l'agence : « Vous êtes engagée. Votre passeport sera prêt vendredi matin. Passez le prendre ainsi que les billets d'avion. Vous devez être à Roissy samedi à midi. Vous décollerez à 15 heures ».
Me voilà à Roissy, dans la salle d'embarquement.
On embarque. Je suis en 2e classe. Avec mes parents, on voyageait toujours en 1re classe et franchement, c'est beaucoup mieux. En 2e classe, on est serrés les uns contre les autres, on doit acheter ses boissons... Pense à Tokyo, Cécile.
Malgré tout, je me dis encore une fois : « Mais qu'est-ce qui m'a pris d'accepter cette place de baby-sitter ? » Bah, je visiterai le Japon. J'ai changé 3000 euros en yen et je quitte cette famille quand je veux. Et, puis, je n'ai rien dit à mes parents, ils vont certainement s'inquiéter et mon père me redonnera mon "argent de poche".
Ça ne sent pas bon en 2e classe ! Je lis : « Stupeur et tremblements » d'Amélie Nothomb. Elle parle de Tokyo où elle a dû nettoyer les toilettes dans la société qui l'employait... C'est vraiment pire que baby-sitter ! Je lis, puis je somnole...
Enfin, après 12 heures de vol, on atterrit à l'aéroport de Narita. On est parti à 15 heures de Roissy, mais il y a 8 heures de décalage : il est 8 heures du matin à Tokyo. Après les formalités de douane, je récupère ma valise et je vais dans le grand hall. Plusieurs personnes brandissent des pancartes avec le nom des voyageurs qu'elles viennent chercher. Je repère la pancarte « Miss Cécile ». C'est un homme grand et costaud qui la tient. Je lui dis :
— I'm Miss Cécile.
— Follow me.
Pas très sympa, le gars. Il ne porte même pas ma valise. On va dans un grand parking, jusqu'à une voiture noire. Je mets la valise dans le coffre et on quitte l'aéroport. On prend rapidement une autoroute.
Les dialogues suivants sont en anglais. Je lui demande :
— Où habitent Monsieur et Madame Ando ?
— Dans le Sairtama, au-dessus de Chichibu.
Jamais entendu ces noms, c'est du chinois pour moi.
Il ne parle pas bien l'anglais, mais il pourrait un peu m’expliquer, non ? Non ! Bientôt, on quitte l'autoroute et on se dirige vers des montagnes. Le paysage change, il y a des champs et des rizières. Il y a même des champs de fleurs... Je sors mon téléphone pour prendre quelques photos. On arrive dans une ville, il me dit :
— Chichibu...
C'est beau. Il y a des temples, des vieilles maisons et des pagodes à plusieurs étages. C'est ce que j'espérais voir, je visiterai tout ça plus tard. On se dirige à nouveau vers des montagnes par une petite route. On finit par arriver face à de hauts murs. Il sort une commande à distance, les portes métalliques s'ouvrent et on pénètre dans un grand jardin ou plutôt un parc. Il y a des massifs de bambous, de hêtres rouges, un étang avec des nymphéas... La maison semble ancienne, c'est une grande pagode de trois étages. Le Japon dans toute sa splendeur. Si le chauffeur n'est pas sympa, je vais au moins vivre dans un très bel endroit. On se gare derrière la maison, le chauffeur ouvre le coffre et il me laisse prendre et porter ma valise. On entre par ce qui doit être l'entrée de service, car elle donne sur une grande cuisine. Deux servantes sont là. Elles se plient à 45° en le voyant. Marrant ! Il me dit :
— Enlève tes chaussures.
Oh ? Je vois que les servantes sont pieds nus. Bon, si c'est la coutume... Je défais mes baskets et les laisse là. Une servante me dit en anglais, avec un fort accent japonais :
— Suivez-moi...
Elle me conduit dans une grande pièce qui donne sur le parc. Une femme d'environ 35 ans est assise dans un grand. La dame est au téléphone... La servante se plie à nouveau à 45 °, puis elle va se mettre à côté de la porte, les yeux baissés, les mains croisées sur le ventre. Du doigt, la femme me montre le sol devant elle, tout en continuant à parler. Je me mets devant elle et, tout en parlant, elle m'examine des pieds à la tête. J'attends en regardant autour de moi.... Autre pays, autres coutumes, mais c'est tout sauf chaleureux. Enfin, elle termine sa conversation et elle me dit en français :
— Bonjour, je suis Madame Ando.
Elle ne me tend pas la main. Je dis poliment :
— Bonjour Madame.
— Adilah va te montrer ta chambre, ensuite je te présenterai à mes enfants.
Elle aurait pu dire « Je vous présenterai mes enfants », mais non. Et pire, elle me tutoie. On n'a pas pourtant gardé les bonzaïs ensemble ! La servante me dit à nouveau :
— Suivez-moi.
On retourne dans la cuisine, elle prend ma valise et je la suis jusqu'au troisième étage. Elle ouvre une porte, j'entre dans une petite chambre, sommairement meublée : un lit, une petite table et une chaise, un lavabo, un coffre par terre. Si mes parents voyaient ça ! Ils regretteraient de m'avoir coupé les vivres. Peut-être...
La servante me dit :
— Tu devrais saluer Monsieur, Madame et les enfants de cette façon.
Elle se plie en deux et ajoute :
— Il faut dire Monsieur Tao et Mademoiselle Keiko aux enfants.
N'importe quoi ! Je réponds :
— Je serai leur professeur de français, pas leur bonne.
Elle hausse les épaules en disant :
— On doit redescendre.
On retourne dans le living. La servante s'incline à nouveau, c'est une manie. Madame est là avec ses enfants, une fille d'environ 8 ans et un garçon de 12 ou 13 ans. Elle leur dit en français :
— Voici votre baby-sitter française.
Puis, à moi :
— Voici mes enfants, Monsieur Tao et Mademoiselle Keiko.
Bon, à Rome fais comme les Romains, je vais les appeler comme ça. Je leur dis :
— Heureuse de faire votre connaissance. Je vais travailler le français avec vous.
Ils font juste un petit salut de la tête et la fille me répond en français, d’un air hautain :
— On connaît le français.
Ils sont vraiment mal élevés, ces gosses. Je sens que je vais vite filer d'ici pour aller m'amuser à Tokyo. Je remarque qu'ils ont tous les trois des chaussures, je suis la seule à être pieds nus, comme les servantes. La mère me dit :
— Tu commenceras les cours demain matin... En attendant, tu peux visiter le domaine, mais enlève tes chaussures quand tu reviens dans la maison.
Elle y tient !!
Je vais me balader dans le jardin, je fais des photos...
Le soir, il y a des invités, mais moi, je mange à la cuisine avec les enfants. Je suis choquée par la façon dont ils parlent aux servantes. Le japonais est une langue... gutturale, mais à un moment, la fille engueule vraiment une des servantes, qui finit par avoir les larmes aux yeux. Je dis aux enfants ;
— Vous n'êtes vraiment pas gentils avec les servantes !
Le garçon demande :
— Depuis quand il faut être gentil avec une servante qui sent encore la bouse des yacks de son village ?
Ils se mettent tous les deux à rire. La fille dit en anglais à la servante :
— Tu as à te plaindre de nous ?
Elle fait un profond salut et répond dans un mauvais anglais :
— NON ! Monsieur Tao et Mademoiselles Keiko sont de très bons maîtres.
Cette fille a l'air terrorisée. Je déteste ces gosses !! Une autre servante arrive dans la cuisine et elle me dit :
— Tu dois me suivre. Monsieur veut te voir.
On va dans l'immense salle à manger. Il y a une dizaine de personnes attablées. Je dis :
— Bonsoir à tous.
Les gens me regardent rapidement, sans répondre. Ils recommencent à parler entre eux.... Seul un gros homme d'une cinquantaine d'années m’observe un peu plus attentivement. Du doigt, il me fait signe de venir. Je vais à côté de lui, il se tourne vers moi en disant :
— Alors comme ça, tu es Cécile ?
— Oui, Monsieur...
Il me regarde des pieds à la tête, comme l’a fait sa femme, puis il me dit :
— C'est bon, retourne à la cuisine.
Les parents sont aussi mal élevés que leurs rejetons ! Je ne vais pas tenir une semaine ici... Je vais aller m'amuser à Tokyo, avant de rentrer à Paris et de me réconcilier avec mes parents !
Je fais un effort et même un très gros effort pendant deux jours. Je me rends compte que les enfants se foutent de moi en japonais et les servantes s’y mettent aussi ! Je les trouve tous particulièrement odieux !
Ce matin, on regarde un film en français. Je mets sur pause quand ils veulent me demander une explication.
Keiko me dit :
— J'ai soif, va me chercher un Coca.
— Je ne suis pas la bonne, mais votre professeur.
Tao intervient :
— Tu es une servante comme les autres. La preuve, tu es pieds nus. Obéis ou tu seras punie.
Il est cinglé, ce sale môme ! Je réponds :
— Je vous trouve particulièrement déplaisants, tous les deux. Je vais en parler à votre mère.
Il se lève et s'approche de moi en disant :
— Obéis ! sale chienne de Française !
Ensuite, il me crache à la figure !
Sa salive atteint mon nez et mon œil gauche. Alors... je n'ai jamais frappé un enfant, mais sur le coup de la colère, je le gifle ! Sans doute un peu fort, parce que je vois sa joue devenir rouge. Les enfants se regardent, puis se mettent à hurler. Les servantes arrivent en courant. Bientôt, la mère entre dans la pièce, juste vêtue d'une chemise de nuit rose. Les enfants se précipitent sur elle en pleurant. Même le garde s’en mêle.
J'essaie d'expliquer ce qui s'est passé, mais les petits parlent en japonais à toute vitesse, toujours en pleurant. Pour finir, je crie pour me faire entendre :
— Je suis désolée, mais votre fils m'a craché dans la figure !
La mère me dit :
— Tu as osé frapper mon fils, tu vas le payer !
Elle dit quelque chose au garde, qui m'attrape par les poignets et me charge sur son épaule comme un sac de patates.
À suivre
Un grand merci à Bruce Morgan, pour le super dessin.
Mes livres illustrés sont ici : https://lamusardine.com/recherche?s=mia+michael&controller=search
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