Là, je m’apprête à lui répondre vertement... mais elle ajoute :
— Je viens d’envoyer 100 livres à Monsieur Shephorn, le plus agressif de vos créanciers... Tu as entendu ?
— Oui, merci beaucoup, Madame.
— Dans une heure, reviens ici avec ton mari. Je vous donnerai une liste de choses à faire. Maintenant, tu peux disposer.
Oh que je la hais ! Au moment de sortir de la pièce, elle me rappelle :
— Janet, reviens ici.
— Oui Madame ?
— Chaque fois que tu entres quelque part où il y a des gens, et quand tu en sors, il va falloir faire une révérence.
Je lui obéis. Elle me dit :
— C’est bien, tu peux disposer. Mais à l’avenir, ne l’oublie pas.
Qu’est-ce qu’il y a de plus fort que « Je la hais » ? Ah oui, c’est « Un jour ou l’autre, je me vengerai ! »
En quittant la pièce, je croise Madame Steel, la gouvernante (housekeeper en anglais). Je lui dis :
— Bonjour Madame.
— Bonjour Janet. Tu n’oublies rien ?
Je fais une révérence en disant :
— Pardon Madame, c’est mon premier jour.
— C’est bon pour une fois, mais rappelle-toi que c’est un motif de punition.
— Bien Madame.
— J’ai envoyé une fille mettre des vêtements dans ta chambre. Va te changer.
Je refais une révérence et je monte dans notre chambre. Je ne suis pas une mauviette, mais il ne faudrait pas beaucoup pour que je me mette à pleurer. Qu’est-ce que je vais trouver ? Quand même pas un uniforme de servante !
Non, il s’agit d’une robe brunâtre raccommodée, qui m’arrive au-dessus des chevilles. C’est triste et laid. Là, j’ai les larmes aux yeux... Mais ne voulant pas trop me laisser aller, j’enlève ma belle robe, mes jupons et j’enfile cette triste robe de paysanne. Au moins, ce n’est pas un uniforme avec un tablier.
Mon mari arrive dans la chambre. Je lui raconte tout. La seule chose qui l’intéresse, c’est que ma garce de soeur a remboursé une partie de nos dettes. Je lui demande :
— Tu trouves normale la façon dont elle me traite ?
— C’est juste un mauvais moment à passer, ma chérie. Fais ce qu’elle dit, jusqu’à ce qu’elle ait tout remboursé.
Je pense tout de suite : « Ouais... dans combien d’années ? »
— Et cette robe qu’elle m’oblige à porter ?
— Elle te va bien.
— N’importe quoi !
Quelle andouille... Une heure plus tard, nous retournons dans la salle à manger. Constance est là, avec deux amies de son monde, c’est-à-dire des jolies femmes bien habillées et parées de bijoux coûteux. Je leur fais une révérence.
Constance continue à parler avec ses amies pendant un bon moment, nous laissant poireauter debout. Enfin, elle s’adresse à mon mari :
— Howard, va te présenter au jardiner, il te dira ce que tu dois faire.
Il s’incline en disant :
— Bien Madame.
C’est lui, la mauviette !
On se retrouve à quatre : Constance, une dame avec un saphir, une autre a un collier de perles et moi, vêtue d’une horrible robe qui gratte. Elles ne s’occupent toujours pas de moi, continuant de boire du thé en parlant des derniers potins. J’attends... très longtemps. Constance finissant par me "remarquer", elle me dit :
— Ah oui, tu es là, toi. Jolie robe !
— Merci, Madame.
Elles rient. Ma soeur explique à ses amies :
— Il y a un mouton noir dans beaucoup de famille. Cette fille est une vague cousine du côté de mon mari. J’ai accepté de la prendre à mon service, afin qu’elle ne finisse pas dans le ruisseau.
On se ressemble comme deux des gouttes d’eau, qui peut croire à ce qu’elle raconte ? Elle continue :
— Je n’ai pas le temps de m’occuper de toi. Va demander à Madame Steel ce que tu dois faire.
Tout ceci est tellement énorme, que je reste un moment là, sans bouger. Ma soeur recommence sa phrase en articulant bien les mots pour que l’idiote que je suis comprenne :
— De-mande à Ma-dame Steel de te do-nner du tra-vail.
— Mais, Madame...
— Ah non, pas de « mais », c’est un mot interdit à une servante. Déguerpis maintenant !
Je fais une révérence et je m’en vais... Faut-il en rire ou en pleurer ? Pleurer ! Je sors de la pièce, puis demande à une servante :
— Vous pourriez me dire où est Madame Steel ?
Elle met un doigt sur sa bouche et fait signe que non avec la tête. Oh ! Elle ne peut pas parler ? Elle me montre une porte. J’y vais... De loin, j’entends la voix forte de Madame Steel. En approchant, je comprends qu’elle est occupée à engueuler une autre servante. Elle la traite de bonne à rien et de paresseuse. La fille est à genoux au milieu du couloir carrelé qu’elle était occupée de récurer. Elle a joint les mains et supplie Madame Steel :
— Je recommencerai tout, Maîtresse.
— Tu as intérêt !
Madame m’ayant vu arriver, elle me demande :
— Qu’est-ce que tu veux, toi ?
Je fais une énième révérence avant de répondre :
— Madame m’a dit de... de vous demander du travail, Madame.
Elle regarde la fille à genoux, puis lui annonce :
— Tu as un avertissement, Molly.
— Oui Madame. Merci, Madame.
Madame Steel se tourne vers moi et dit :
— Je ne sais pas ce que je vais te donner à faire. Madame ne semble pas encore décidée. Es-tu seulement capable de broder ?
— Oui, Madame. Chez les soeurs, on....
Elle me coupe :
— Pas de détails inutiles, tu réponds simplement à la question « Tu sais broder ? »
— Oui, Madame.
— Bien. Madame veut qu’on connaisse le nom et la fonction des servantes sans devoir le leur demander. Tu vas broder ça sur des morceaux de tissu qu’on pourra coudre sur leurs uniformes.
Oh, putain ! il y a au moins vingt servantes et autant de domestiques, je vais devoir broder pendant des heures et des heures. Elle me dit :
— Suis-moi.
On va au deuxième étage, là où se trouvent les chambres des bonnes. On entre dans une pièce où sont rangés les uniformes. Elle trouve du tissu blanc et un nécessaire pour broder. Il y a une table et un tabouret dans cette pièce, éclairée par une tabatière. Elle découpe un rectangle de tissus et me dit :
— Tu vas tailler six rectangles de tissus de cette dimension et tu broderas trois fois « Molly » et en dessous « house maid » (servante de maison). Puis tu broderas trois fois, « Bella » et en dessous « laundry maid » (servante blanchisseuse). Les lettres doivent avoir cette dimension.
Elle me montre la dernière phalange de son petit doigt et ajoute :
— On a compris ?
— Oui, Madame...
— Travaille bien, ma fille... Janet, c’est ça ?
— Oui, Madame.
Je refais une révérence et elle s’en va... Bon, je me dis, Jane (mon vrai prénom) il y a pire. Fais ce qu’on te dit pour le moment... Les choses peuvent évoluer très vite. Je brode... pendant des heures. Je ne m’arrête que pour boire et faire pipi... En toute fin d’après-midi, j’ai réalisé quatre broderies.... au lieu des six.
Il commence à faire sombre dehors et encore plus dans cette petite pièce. Impossible de continuer, et en plus, je suis épuisée. Pas physiquement mais nerveusement, tellement j’ai essayé de bien faire. Je dois absolument me faire bien voir de Madame Steel et m’en faire une alliée. J’ai l’impression qu’elle n’apprécie pas non plus ma garce de soeur.
Je descends les escaliers et demande où est Madame Steel à une servante qui m’indique la direction. Je la trouve occupée à engueuler une autre servante. C’est une de ses occupations favorites, dirait-on. Comme tout à l’heure elle finit par me demander :
— Qu’est-ce que tu veux ?
— Pardon Madame, mais il fait de plus en plus sombre, j’ai travaillé le mieux possible et...
Elle me coupe :
— Ne me raconte pas ta vie. Montre-moi ce que tu as fait !
Je lui donne mes broderies en faisant une révérence. Elle demande :
— Quatre au lieu de six ?
Qu’est-ce que je peux répondre ? Elle ajoute :
— Mais c’est assez réussi... Bon, il est l’heure d’aller à la cuisine.
Je la suis dans les couloirs et les escaliers du château. Les cuisines sont dans un bâtiment annexe. Mon mari est là. Il se lève et s’incline devant Madame Steel, sans même oser me demander ce que j’ai été obligé de faire.
La cuisine se compose de deux très grandes pièces. La première a une immense cheminée dans laquelle on fait cuire les viandes. À côté de ça, je vois une cuisinière à charbon prévue pour 3 marmites en même temps. Il y a aussi une petite table pour la cuisinière et les filles de cuisine.
Dans la seconde pièce, je n’aperçois que deux tables, une grande et une petite. Il y a déjà beaucoup de servantes et de domestiques. Ils attendent sans doute la permission de s’asseoir. Madame Steel m’explique :
— La petite table est destinée au personnel de rang supérieur, Monsieur Sanders, le majordome qui règne sur le personnel masculin, moi et Madame Catwells, la cuisinière. Madame a choisi d’accorder à ses femmes de chambre, et au valet de Monsieur, John, le privilège de manger à cette table. Ce n’est pas le cas partout. Pour commencer, allez vous présenter tous les deux à Monsieur Sanders.
A suivre.
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Pour tous renseignements : mia.michael@hotmail.fr
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